Le 8 novembre 2024 9:30-16:30
Adresse: Club de la Presse Strasbourg
10 Pl. Kléber, Strasbourg
Les participants :
- Svetlana Uvarova (psychanalyste)
- Claude Escande (psychologue et psychanalyste)
- Sergio Benvenuto (psychanalyste)
- Edgard Weber (historien arabisant français)
- Patrick Schmoll (psychosociologue et anthropologue)
Modérateur : Serhii Alushkin (philosophe)
Argument
La réapparition de la guerre aux portes de l’Europe active nos inquiétudes et nous force à penser. Comment éviter que l’Europe devienne le théâtre d’une extension des conflits ? Telle est la question que, certes égoïstement, mais très légitimement, nous nous posons depuis notre propre sol. Et prévenir la guerre, pour nous, ne pas y entrer, c’est inviter les autres, Ukrainiens, Russes, Israéliens, Palestiniens, ceux qui la font ou la subissent directement, à réfléchir à comment en sortir. Cela, à un moment qui n’est pas celui où les intéressés pensent à l’après, mais tout aussi légitimement, au présent, à l’urgence des coalitions contre l’ennemi. Pourtant, l’on sait bien que tôt ou tard les belligérants, toujours, finissent par s’asseoir autour d’une table pour négocier. Alors, pourquoi pas dès à présent ? D’emblée, deux processus de pensée s’opposent, ou pire, s’ignorent. Peut-on les faire se rencontrer, faire que, du dedans de l’évènement, l’extérieur, le futur, soit pensable ?
Celui qui en 1939 aurait annoncé que dix ans plus tard l’Allemagne et la France, ennemis séculaires, poseraient la première pierre d’un espace européen durablement pacifié et démocratique aurait été considéré au mieux comme un doux rêveur, et plus probablement comme un traître. C’est pourtant à ce type d’effort d’imagination et de raisonnement qu’invite cette table-ronde [journée d’études].
Le problème est que la guerre, on sait comment (et l’on croit savoir pourquoi) la commencer, mais plus rarement comment la finir. Une fois lancée, elle semble suivre sa propre mécanique, enfermant les esprits dans les oppositions duelles, la surenchère, les moyens d’éliminer l’ennemi. Les travaux de recherche sont nombreux sur la guerre, les processus de formation des conflits sont l’objet d’un domaine d’études, la polémologie. Mais les processus de sortie, du passage de la guerre à la non-guerre (sans même parler de la paix) sont moins étudiés, souvent laissés à l’attente de l’épuisement des parties ou à l’intervention de médiateurs suffisamment puissants pour les séparer. Comme si le conflit, au-delà des causes objectives qui le motivent, réellement ou idéologiquement, s’alimentait à un fond de pensée archaïque, à cette force que confèrent la certitude d’être du bon côté, la peur que suscite l’ennemi, l’ivresse de soi dans la destruction de l’autre.
Ce mécanisme cognitif qui, par sa force propre, résiste à envisager autre chose que l’action légitime dans le présent, suggère que les anthropologues, les psychologues et les psychanalystes aient quelque chose à en dire. Les historiens et les politologues aussi, sous l’éclairage des comparaisons et de la profondeur historique. Ainsi que les stratèges et les professionnels de la médiation et de la négociation. Comment sort-on de l’immédiat ?
Le plus souvent, on se représente le début des négociations comme relevant déjà de l’après-conflit. Le cessez-le-feu semble la condition d’un début de dialogue, pour identifier les protagonistes, les principes qui ne sont pas négociables, les arrangements sur ce qui l’est, les habillages pour sauver la face, éviter l’humiliation, laquelle risque de provoquer des fractures internes, sources de guerres ultérieures. Le « bon moment » se choisirait à l’arrière du terrain des actions militaires, quand les belligérants évaluent qu’il y a plus à gagner à négocier qu’à poursuivre.
Aujourd’hui donc, traitant par exemple du conflit russo-ukrainien ou de Gaza, ne serait pas le bon moment : parler de négociation, voire même envisager un temps de paix future entre actuels ennemis, c’est s’exposer aux accusations d’être, selon les bords, anti-ceci ou pro-cela.
Mais attendre ce bon moment pour négocier expose à davantage de pertes et de souffrances. Dans la pratique, les médiateurs œuvrent souvent dans le temps même de la guerre, ils cherchent discrètement des opportunités qui vont être des points d’entrée pour des accords limités dans ce que la théorie des jeux présenterait comme un jeu à somme non nulle (où les protagonistes gagnent davantage à s’entendre qu’à se disputer la meilleure position).
La sortie de guerre est-elle cependant modélisable dans ces seuls termes du calcul stratégique ? Le problème de la stratégie, c’est qu’elle mêle, dans ses prémisses comme dans ses raisonnements, à la fois de l’émotionnel et du rationnel. La pensée stratégique, c’est en fait la pensée tout court : penser en temps de guerre sollicite des mécanismes cognitifs archaïques (de sa part comme de la part des autres) dont le stratège doit constamment se défier – sauf à les utiliser à son profit, par exemple en appelant le collectif et ses alliés à l’union sacrée, ou à la compassion, ou à la haine.
Les intervenants à cette table-ronde [journée d’études] éviteront les généralités bien-pensantes, ils prendront le risque d’envisager des futurs contre-intuitifs aux conflits du présent. Ils éviteront les « il faut », les « on devrait », exprimant les positions confortables de ceux qui peuvent donner des conseils de l’extérieur de l’évènement. Mais ils ne se contenteront pas non plus de décrire les causes de tel conflit, au risque de ne pouvoir que désigner des responsables sans apporter de solutions. Penser la sortie de la guerre, c’est identifier les facteurs de celle-ci, certes, mais c’est aussi décrire le futur, ce qui va se passer immanquablement, quels que soient les discours. En observant ce qui se passe ailleurs, ou ce qui se passe en chacun de nous, ou en plongeant dans la profondeur historique, on voit comment les opportunités se présentent, comment les lignes bougent, comment les processus de pensée se remettent en travail.
On pourra ainsi se poser des questions telles que, non exclusivement :
– Comment s’extraire de l’immédiat pour faire un pas de côté, regarder le champ clos du conflit de l’extérieur ou du dessus, pour envisager les facteurs invisibles, les conséquences ultérieures, indirectes, dans un monde complexe pour lequel le conflit n’est qu’un théâtre isolé. Les enjeux du conflit valent-ils que les protagonistes finissent pas s’affaiblir mutuellement par rapport au reste du monde ?
– À qui profite le conflit ? Qui sont les « tertius gaudens », ceux qui, à l’extérieur, en profitent sans s’impliquer, voire jettent de l’huile sur le feu ? Pourquoi et comment ?
– Quel est, inversement, l’intérêt des non-belligérants à entrer dans une guerre qui n’est pas la leur, si ce n’est au titre de considérations morales : respect du droit international, défense de la démocratie, respect des alliances ?
– La paix est-elle possible sans la pression de tiers extérieurs ? La dynamique conflictuelle oppose deux tendances, l’une à la généralisation et à la montée aux extrêmes, agrégeant les conflits locaux en un seul, dont l’horizon logique est la guerre mondiale ne laissant aucun acteur significatif à l’extérieur ; l’autre résultant des divergences d’intérêts dans un monde complexe, divergences qui maintiennent le conflit en champ clos, les acteurs extérieurs n’ayant que peu d’intérêt à s’embarquer dans l’affrontement direct, certains souhaitant le résoudre, d’autres l’entretenir mais sans s’y impliquer.
– La négociation implique un minimum de confiance. Quelles en sont les conditions ? À quel moment la confiance joue-t-elle ? Le fait de se parler suspend déjà le mécanisme du conflit, mais la confiance est-elle une conséquence ou un préalable ?
– Peut-on sortir de la confrontation en essayant de désigner un nouvel ennemi, qui serait commun aux belligérants actuels, les forçant à suspendre leur inimitié réciproque pour se tourner ensemble contre ce nouveau venu ?
Les participants :
Svetlana UVAROVA – psychanalyste, HDR, fondatrice et Directrice de l’Institut international de psychologie des profondeurs (Kiev,Ukraine), Présidente de l’Association ukrainienne de psychanalyse (Kiev, Ukraine), membre du Conseil d’administration, psychanalyste agrée et certifiée et tutrice de la Confédération européenne des psychothérapies psychanalytiques et membre du Conseil mondial de psychothérapie (Vienne, Autriche), Présidente de la Fédération internationale de psychanalyse (Strasbourg, France). Elle est rédactrice en chef de la maison d’édition de l’Institut international de psychologie des profondeurs ainsi que de la revue Psychanalyse, Chroniques (Kiev, Ukraine), membre du Comité de rédaction de la revue European Journal of Psychanalysis (Rome, Italie) et rédactrice en chef de sa version russe, auteur de nombreux ouvrages sur la psychanalyse.
Sergio BENVENUTO est psychanalyste, chercheur en psychologie et en philosophie au Conseil italien de la recherche (C.N.R.) à l’Institut des sciences et technologies cognitives, président de l’Institut de recherche avancée en psychanalyse, professeur émérite de l’Institut international de psychologie des profondeurs, fondateur de la Revue européenne de psychanalyse et rédacteur en chef de sa version italienne, auteur de nombreux livres et publications publiés dans différentes langues.
Edgard WEBER est un historien arabisant français, professeur de langue et de littérature arabes et professeur émerite aux universités de Toulouse Le Mirail et Strasbourg, uteur de nombreux ouvrages scientifiques sur l’Islam et la mythologie du Moyen-Orient, ainsi d’essais, de traductions.
Claude ESCANDE – psychanalyste, Docteur en psychologie et en psychopathologie, professeur associé à l’Université Louis Pasteur de Strasbourg et directeur d’un Institut de formation. Psychologue clinicien, son expérience professionnelle l’a amené à suivre en psychothérapie des adolescents et des adultes usagers et dépendants de drogues.
Patrick SCHMOLL – Docteur en psychologie et diplômé de sciences politiques et d’histoire, anthropologue, fondateur et rédacteur en chef de la revue Corps et Langage (1980-1986) et de la Nouvelle Revue de Psychologie (1985-1986) dans le cadre de l’Institut Européen de Psychologie. Ingénieur de recherche au CNRS de 1977 à 2020 : rédacteur en chef de la Revue des Sciences Sociales de 2001 à 2013, responsable valorisation-innovation de l’UMR 7367 DynamE de 2014 à 2020. Il poursuit depuis plus de vingt ans un travail de recherche en anthropologie, sur la médiation du lien social par les nouvelles technologies (communautés virtuelles, construction en réseau du soi et de l’autre, rencontres en ligne, ludicisation du social par les jeux vidéo). Par ailleurs acteur de l’innovation, il a participé à plusieurs projets de jeu vidéo et de serious games, a cofondé la société Almédia et conseillé le studio Ernestine. Depuis 2021, il est gérant et directeur scientifique de PSInstitut, une société de recherche et de services en prospective et systémique. Auteur de plus d’une centaine d’articles scientifiques et de plusieurs ouvrages, dont une série d’études consacrées à la figure de la « Société Terminale ».
Modérateur : Serhii Alushkin – Docteur en philosophie, professeur d’Institut international de psychologie des profondeurs, volontaire de Corps Européen de Solidarité.
